• Un philosophe nous a quitté

    Bonsoir à tous,

     

    Le soir approche et déjà, nous apprenons qu'un érudit en philosophie vient de nous quitter brutalement.

    Cet homme s'appelait Jean François Mattei.

    La puissance du simulacre : dans les pas de Platon

    Un philosophe nous a quitté

    "Qu'est-ce que la fameuse caverne de Platon si ce n'est la plus grande chambre noire que l'on ait jamais réalisée ? Reprenant cette intuition de Paul Valéry, Jean-François Mattéi procède à une relecture magistrale des grands dialogues de Platon, de La République au Timée, pour y découvrir la matrice de notre monde, un monde envahi par les images et les simulacres. Du cinéma aux jeux vidéo en passant par Internet, le cyberespace et les téléphones portables, nouvelles «cavernes personnelles», les images ont en effet pris le pouvoir. Censées initialement représenter le réel, elles se sont mises à le simuler, à le dupliquer, voire à l'absorber pour faire surgir une nouvelle dimension, celle du virtuel. Matrix, Avatar, World of Warcraft, Toy Story, la 3D, sont le vecteur de cette révolution. Pour la plupart des philosophes, la victoire des simulacres constitue un renversement sans précédent du rapport entre image et réalité, institué il a 2 500 ans par Platon. Les images ne seraient plus le miroir d'une réalité intelligible qui leur confère consistance, mais de purs simulacres sans aucun rapport avec le réel. En croisant la lecture minutieuse de Platon avec une plongée passionnante dans les processus les plus contemporains de modélisation des images, cet essai démontre qu'il n'en est rien. Loin d'être autonomes, les phénomènes de simulation proviennent de procédés rationnels qui projettent leur intelligibilité dans le sensible. Et ces procédés artificiels redoublent l'opération première, advenue dans la nuit des temps, au cours de laquelle le monde fut structuré grâce à des modèles intelligibles qui se sont inscrits en lui.

    Spécialiste de Platon mais aussi passionné de cinéma, Jean-François Mattéi est professeur émérite de l'université de Nice-Sophia Antipolis, membre de l'Institut universitaire de France. Il est l'auteur d'ouvrages d'histoire de la philosophie (L'Étranger et le Simulacre : essai sur la fondation de l'ontologie platonicienne, PUF, 1983) mais aussi d'essais intempestifs sur le monde contemporain (Philosophie de la chirurgie esthétique : une chirurgie nommée Désirs, Odile Jacob, 2011, ou Le Regard vide : essai sur l'épuisement de la culture européenne, Flammarion, 2007).

    Extrait de La puissance du simulacre : dans les pas de Platon

    Extrait de l'introduction

    Platon aujourd'hui

    Nous vivons une époque étrange. Les progrès considérables des sciences et des techniques ont permis à l'homme d'abolir les illusions des anciens modes de connaissance, celles des mythes et des religions, et d'approcher toujours plus près de la réalité, qu'elle soit physique, chimique ou biologique. Mais en même temps, le monde actuel se présente comme la consécration des images et des simulacres au détriment de ce qui se donne d'emblée pour la réalité vécue. Nous assistons au renversement radical de l'ontologie fondamentale qui avait dominé l'histoire de la pensée occidentale depuis Platon jusqu'à Einstein. Le monde visible et les images qu'il produit sous forme d'ombres, de reflets ou de rêves, de dessins, de peintures et de photographies, ne serait plus, comme chez Platon, le miroir d'idées intelligibles qui leur confère une consistance apparente, mais des effets de simulacres susceptibles de produire paradoxalement une réalité virtuelle plus réelle que la réalité actuelle.
    En croisant la lecture rigoureuse de deux dialogues de Platon - le livre VII de La République sur le mythe de la caverne et le Tintée sur la naissance du monde - avec l'analyse des méthodes contemporaines de modélisation des images, je tente de montrer qu'il n'en est rien. Loin d'être autonomes, dans le repli de leurs espaces virtuels, les phénomènes de simulation résultent de théories rationnelles, d'ordre mathématique et numérique, qui projettent leur intelligibilité et leur réalité profonde dans le monde sensible. Et ces procédures scientifiques, loin de se dissoudre dans le jeu d'apparences qu'elles produisent, redoublent l'opération première, advenue dans la nuit des temps, là où la pensée ne peut jamais remonter, par laquelle le monde fut découpé par des formes idéales - selon l'hypothèse de Platon - qui ont inscrit en lui leur intelligibilité.
    Ce que suggère la science moderne, c'est que nous ne vivons pas dans un monde privé de structures rationnelles. En dépit de l'avalanche d'images qui nous entourent, nous ne sommes pas enfermés dans une caverne d'ombres inconsistantes. Telle est la thèse que je défendrai dans cet ouvrage en liant ma relecture moderne de Platon avec une interprétation nouvelle de la production des simulacres présents dans les images analogiques de la photographie et du cinéma traditionnels comme dans les nouvelles images numériques de synthèse.

    Quand Casablanca devient virtuel

    Prenons l'exemple de Casablanca. C'est un film américain de 1942 réalisé par Michael Curtiz d'après une pièce de Murray Burnett et Joan Alison Everybody Cornes to Rick's en 1938. On sait que ce mélodrame, interprété par Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, entourés, parmi d'autres acteurs prestigieux, par Claude Rains, Sydney Greenstreet, Paul Henreid, Peter Lorre et Marcel Dalio, se situe pendant la Seconde Guerre mondiale dans la ville de Casablanca.
    Le film ne fut pas tourné au Maroc, dans la ville réelle donc, mais dans les studios de la Warner Bros affublés d'un décor oriental teinté d'américanisme totalement inventé. On se souvient que la musique envoûtante de ce film, composée par Max Steiner, repose sur une vieille chanson de William Hupfeld, «As Time goes by», composée en 1931 pour un musical de Broadway. La simulation du film est poussée à l'extrême puisque le pianiste noir, Sam, qui joue la chanson préférée des deux amants séparés par la guerre, est interprété par Dooley Wilson, qui n'était pas pianiste, mais batteur. Il est donc doublé par un véritable pianiste, Eliott Carpenter, que nous ne voyons pas à l'écran. La phrase légendaire d'Ingrid Bergman, qui veut retrouver l'émotion accompagnant cette mélodie lorsqu'elle était la maîtresse d'Humphrey Bogart à Paris : «Play it, Sam, play "As Time goes by"», est devenue une expression courante en américain. Woody Allen l'a d'ailleurs modifiée dans son film de 1972 : Play it again, Sam.

     

    L'Homme indigné
    Essai

    Par Jean-François Mattéi

    Paru en : Novembre 2012

    28,00 € - Disponible - 304 pages

    Collection « Bibliothèque du Cerf »

    Un philosophe nous a quitté

    "Camus analysait la révolte comme le sentiment qui assure la dignité de l’être humain. Parallèlement, l’indignation est le sentiment premier — à ce titre irréductible — qui révèle l’existence de la justice. On ne saurait s’indigner que devant une injustice réelle infligée à un être humain concret. L’indignation ignore les idées générales, seraient-elles généreuses, au profit des réalités singulières.

    Dans une société victimaire vouée à la compassion collective, nous risquons de perdre le sens profond de l’indignation. C’est pourquoi, à la suite de Dostoïevski et de Nietzsche, mais aussi de Tom Wolfe et de Philip Roth, il faut dénoncer les fausses indignations. Il est facile de reconnaître ces dernières qui permettent à chacun de se donner bonne conscience à peu de frais. Les indignations idéologiques, provoquées et feintes, sont renforcées par la pression médiatique sous une forme collective et restent indifférentes au sort réel des hommes. Ce sentiment ne révèle la dignité d’un être soumis à une injustice que s’il se dresse immédiatement, sans calcul, devant l’indignité infligée à une personne singulière. Les indignations collectives sont celles du ressentiment. La seule qui donne un sens à l’exigence de justice est celle, naturelle, qui, selon le mot de Bernanos, est « le cri spontané d’une conscience outragée par le scandale ».
    "

     

    Le célèbre professeur de l'Institut universitaire de France s'est éteint à 74 ans, lundi, à Marseille.

    Un philosophe nous a quitté

    Il disparaît brusquement, laissant les autres grands penseurs de France, et leur public, à leurs livres et leurs idées: le philosophe Jean-François Mattéi est décédé à 74 ans, lundi, à Marseille, rapporte Nice Matin . Né à Oran, en Algérie, le 9 mars 1941, il fut un professeur de philosophie grecque et de philosophie politique de renom. Ancien élève de Pierre Aubenque et de Pierre Boutang, il a longtemps exercé à l'université de Nice Sophia Antipolis. L'Institut universitaire de France le comptait parmi ses précieux membres. Apprécié par la communauté pieds-noir et harkis, l'érudit fut notamment l'invité de la ville de Nice pour divers événements et colloques à l'occasion de la commémoration du cinquantenaire du Rapatriement.

    Parmi ses œuvres les plus connues, les lecteurs retiennent Où va l'humanité? qui donne un éclairage sur les enjeux éthiques et sociétaux qui ont trait à l'avenir de notre espèce, La puissance du simulacre: dans les pas de Platon où les images de notre quotidien (du cinéma aux jeux vidéos en passant par Internet et les smartphones) démultiplient les apparences, illusions et autres faux-semblants autrefois dénoncés par Platon comme de sombres et fallacieux reflets du réel, ainsi qu' une biographie dédiée au fondateur de la discipline.

    L'un de ses derniers essais, L'Homme indigné, au cœur du débat

    L'un de ses derniers essais, L'Homme indigné (paru aux éditions du Cerf en novembre 2012), dans lequel il apporte son point de vue sur le sentiment de révolte - accru dans notre société actuelle -, à la lumière de ses prédecesseurs et confrères Dostoïevski, Philip Roth, Nietzsche et Tom Wolfe, était au cœur du débat lors de sa venue sur le plateau d'Arte, alors qu'il était l'invité de Raphaël Enthoven dans l'émission Philosophie, en novembre 2013. Une grande perte que regrettent amèrement ses fervents admirateurs sur Twitter.


    MATTEI Jean-François 22-06-2012 par Philippe_B_Redaction

     

    Merci cher monsieur et relisons ces lignes philosophiques remettant l'homme au centre et son devenir au devant de soi.

    Bien à vous.

    PGR

     

     

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :