• Une réforme qui menace les humanités classiques

    Bonjour à tous,

     

    Voici un texte magnifique et dont la relecture doit pouvoir rendre la grandeur de l'école.

     

    Merci à l'académicien Jean-Marie Rouart de nous témoigner cette amour de l'école et le style pour redéfinir et reprendre finalement un projet de loi sinon une loi contraire aux intérêts et à la grandeur de la France.

     

    "La réforme de l’Éducation, portée par la ministre Najat Vallaud-Belkacem, menace les humanités classiques. Supprimer le latin et le grec, c’est toucher aux piliers de notre culture.

     

    Les Français sont fiers de leurs Prix Nobel ; fiers de leurs athlètes qui remportent des médailles aux Jeux olympiques ; orgueilleux lorsque l’équipe de France gagne la Coupe du monde de foot ; respectueux et admiratifs des bêtes à concours qui essaiment à l’Ecole polytechnique ou à Saint-Cyr. A aucun moment ne leur vient à l’esprit de remettre en cause le système profondément élitiste qui a abouti, à la suite d’une impitoyable sélection, à la distinction de l’excellence. Au contraire, ce mérite publiquement récompensé les rassure car il n’est entaché par aucun soupçon de fraude ou de favoritisme. Au-delà de l’orgueil national, il flatte une certaine idée de la justice. D’où vient alors que ce même peuple en soit arrivé, dans un domaine fondateur de la société, l’enseignement, à remettre en cause tout ce qui, de près ou de loin, s’apparente à des classements ? Comme si la sélection des meilleurs élèves était vécue telle une insulte vis-à-vis des moins bons, comme si la distinction entre les bonnes notes et les mauvaises devait être effacée ; comme si, enfin, la sélection par les études au collège n’était qu’un moyen de favoriser une classe sociale dominante, arrogante, qui veut conserver ses privilèges et son pouvoir au détriment des défavorisés, des enfants des banlieues et des laissés-pour-compte de la diversité.

    Pendant plus d’un siècle, l’école a pourtant montré à quel point elle avait été un formidable creuset de promotion sociale. On n’en finirait pas de citer les élites qui, issues des milieux les plus modestes, ont pu accéder grâce à l’ascenseur républicain aux plus hautes fonctions : de Georges Pompidou à Arthur Conte, fils de pauvres viticulteurs catalans, jusqu’à Rachida Dati, on ne compte plus les hommes et les femmes auxquels le système d’éducation alors en vigueur a donné leur chance. Par leur intelligence, leur mérite, leur travail, ils ont réussi à contrebalancer la fatalité sociale qui risquait de les enfermer dans la misère, l’ignorance et l’oubli de leur mérite. Le projet de réforme du collège que prépare Najat Vallaud-Belkacem ne soulèverait pas une telle tempête de protestations, droite et gauche confondues, s’il ne donnait la fâcheuse impression de vouloir apporter une révolution copernicienne dans le collège. Le cancre s’y substitue au fort en thème comme clé de voûte du système, l’élève en difficulté y supplante le cador. Le mérite n’est plus le propre de l’individu, il est le vestige d’un privilège social. Si les principaux griefs que l’on formule touchent à l’inéluctable suppression du grec et du latin, ce n’est pas seulement en raison du caractère hautement symbolique que revêtent ces deux disciplines dans l’histoire de la culture et même de la civilisation française, c’est parce qu’elle révèle derrière ce projet une entreprise beaucoup plus vaste, turlutaine de certains socialistes doctrinaires, qui considèrent qu’il faut revenir au processus interrompu de 1789, au but même de la Révolution française : changer l’homme.

    Et, pour changer l’homme, il faut le débarbouiller de cette culture classique, apanage culturel des classes bourgeoises. Rien de plus périphérique et anecdotique en apparence que l’étude de ces langues mortes – déjà ce qualificatif ne présage rien de bon – qui ne sont pas « utiles », puisque plus personne ne songe à les parler, et sentent le régent de collège et la sacristie. Pourtant, supprimer le grec et le latin, c’est arracher le cœur culturel de la France. Ces langues sont constitutives de ce que nous sommes, la matrice de la civilisation française qui s’est abreuvée à trois sources : la mer Egée, le Tibre et le Jourdain. Athènes, Rome et Jérusalem ont nourri tout à la fois notre culture et notre imaginaire, notre philosophie et notre sensibilité, notre science et nos croyances. Il est impossible de dire ce que nous serions sans l’apport de ces trois influences essentielles. Ce qui est certain, c’est que nous ne serions pas les mêmes. Que le christianisme se soit développé sans chercher à éradiquer la culture païenne d’Athènes et de Rome mais au contraire en la préservant, en sauvant ses manuscrits dans les monastères lors des invasions barbares, montre que, dans son triomphe, il n’a pas méprisé les vieilles idoles. Retenant leurs leçons, il a poursuivi avec elles un fructueux dialogue culturel. Par elles, il a compris que la beauté pouvait être le meilleur soutien de son message. Et ce dialogue s’est poursuivi dans la littérature : la Renaissance et l’époque classique se sont encore rapprochées de ces sources d’inspiration, les prenant pour modèle de l’art accompli. On sait tout ce que La Fontaine doit au Grec Esope, ce que La Bruyère a emprunté aux caractères du Grec Théophraste, ce que Racine, Corneille doivent à Phèdre, à Andromaque, à Bérénice et aux grands héros de l’Antiquité. Et qu’est-ce que Montaigne, le Français par excellence, dont l’œuvre nous semble aujourd’hui si proche et fraternelle, sinon un homme mûri dans la connaissance intime du grec et du latin, et trouvant en eux la justification de son esprit de tolérance. Pendant des siècles, le voyage à Rome des écrivains, des peintres, des sculpteurs, de tous les artistes a été considéré comme un inappréciable pèlerinage aux sources.

    Il n’est pas jusqu’aux révolutionnaires de 1789 qui, coiffés à la Titus, n’aient puisé leur éloquence dans Cicéron, eux qui se jetaient à la figure les noms de Brutus, de Caton, de César et de Pompée. La république romaine battait dans leur cœur. En fait il n’est nul besoin d’aller chercher très loin les raisons qui poussent Najat Vallaud-Belkacem dans son entreprise. Elles sont contenues en filigrane dans les idées déjà exprimées par son prédécesseur, Vincent Peillon, et partagées par beaucoup de socialistes doctrinaires. Pour eux la France ne commence qu’avec la République et la Révolution. Comme si les quinze siècles monarchiques imprégnés de christianisme n’avaient été qu’une période d’obscurantisme heureusement combattue par les Lumières. On tremble un peu à la lecture de la prose de Vincent Peillon quand il ne craint pas d’écrire dans son ouvrage « La Révolution française n’est pas terminée » : « La Révolution implique l’oubli total de ce qui précède la Révolution. Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches prérépublicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen. Et c’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi. »

    Cette conception religieuse de l’école laïque – Jean d’Ormesson a qualifié Peillon de « maoïste doux à la façon khmer rose » –, il est manifeste qu’elle inspire à son tour la ministre de l’Education. Car, dans son projet de réforme, ce sont l’étude du christianisme – au profit de celle de l’islam – aussi bien que les humanités grecques et latines qui doivent être réduites à leur plus simple expression. On peut être athée, libre- penseur, laïque et être néanmoins conscient que la civilisation française devient incompréhensible si l’on fait disparaître ces indispensables clés. On erre sans rien comprendre dans nos rues, au musée du Louvre, dans les cathédrales. Le calendrier et ses fêtes sont illisibles. Notre histoire, et ses soubassements culturels qui nous permettaient de nous situer, cesse de nous être familière. On risque, pour le coup, d’être étranger à son propre pays dont on ne comprend plus d’où il vient, comment il s’est formé, quels courants de pensée l’ont façonné. Ce projet d’un pédagogisme débridé inspire aux apparatchiks de l’Education nationale leurs innovations les plus abracadabrantesques : à commencer par un jargon qui insulte autant le bon sens que cette clarté, dont Rivarol disait qu’elle était la caractéristique de la langue française. Certes on a beaucoup ri de la novlangue qui transforme une piscine en « milieu aquatique profond standardisé », les dictées en exercices ou « l’élève exercera sa vigilance orthographique », où courir devient « créer de la vitesse », nager tout simplement « traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion de la tête ». Rire ou pleurer.

    Il paraît bien aventureux qu’une réforme de cette importance, qui touche à des questions si graves, engageant l’avenir d’une génération, soit lancée hors de la représentation nationale, sans débat, par une jeune ministre qui a moins d’expérience que d’outrecuidance. Il en faut en effet une certaine dose pour traiter de « pseudo-intellectuels » des hommes qui, tels Régis Debray, Marc Fumaroli, Luc Ferry ou un socialiste de bon sens comme Jacques Julliard, ont osé faire part de leurs inquiétudes. Dans ses célèbres anaphores inspirées de la plus pure rhétorique latine, François Hollande n’avait pas dit : « Moi président, je vais façonner un homme nouveau. Moi président, je mettrai fin aux pierres de touche de la civilisation française. Moi président, je réintroduirai le fanatisme révolutionnaire dans l’enseignement. »

    Au moment où la France est tirée à hue et à dia, prisonnière de ses contradictions ontologiques, hésitante sur elle-même, ses valeurs, sa mission, ne sachant plus quel modèle incarner, ce projet ne fait que rajouter de l’incohérence à l’incohérence. On ne luttera pas contre la montée du communautarisme par la magie de « l’interdisciplinarité » qui consiste à noyer le poisson du véritable savoir. On ne répondra pas non plus aux exigences de la compétitivité et de l’excellence en évitant aux élèves de redoubler leur classe. On va un peu plus démoraliser les élites, décourager le talent, sans vraiment donner d’espérance aux cancres et aux élèves qui ne sont pas au niveau : on ne fera que retarder le réveil de leur illusion. La disparition des humanités, sacrifiées sur l’autel d’un égalitarisme sommaire, nous empêchera de dialoguer avec un passé prestigieux ; elle rendra peu à peu obsolètes et incompréhensibles toutes les œuvres de l’esprit qui s’en inspirent et s’y réfèrent. Après avoir abandonné Homère et Platon, Virgile et César, on finira par se priver des auteurs qu’ils ont nourris et, de fil en aiguille, on détricotera tout le tissu culturel qui forme ce qu’on peut appeler d’un terme un peu pompeux mais pourtant exact : notre civilisation. L’homme nouveau, seul, sans passé, livré à la tyrannie du présent sans être pour autant délivré des angoisses de l’avenir, subira la servitude des aveugles qui tâtonnent dans leur nuit. Ce qui désole, c’est tout le temps et le nombre de génies qu’il aura fallu pour construire ce chef-d’œuvre, legs d’une culture millénaire, et le si peu de temps qu’il aura fallu aux politiques pour le détruire, par caprice, d’un trait de plume.

    http://www.parismatch.com/Actu/Societe/Et-si-elle-arrachait-le-coeur-au-passe-de-la-France-reforme-education-nationale-761402

     

    Merci Monsieur.

    Bien à vous.

    PGR

     

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